Lire un extrait

[…]

Laissant les volets entrouverts à l’espagnolette, j’allais faire un brin de toilette dans la petite douche attenante. M’arrêtant devant le miroir, une bouille défraîchie me salua. Hirsute, les cheveux noirs en bataille, pas rasé, des traits tirés par la fatigue. J’avais l’air d’un naufragé. Ce qui, réflexion faite, était absolument le cas.

La tête baissée un bref instant puis relevée, je me dévisageai à nouveau dans la glace et je souris à mon reflet, haussant les sourcils, saluant l’être humain face à moi.

Ce matin, j’étais en vie. Après…

Sans prévenir, des réminiscences asphyxiantes de feu solaire me carbonisaient et je chancelai. D’un geste confus je chassai ces flammes incandescentes. Appuyé sur le bord du lavabo, je frissonnai, luttant contre un début de vertige passager. Une peur rétrospective et viscérale surgit, étrangement mêlée à une joie enfantine. Et, à la certitude absolue de mon immortalité toute provisoire. Mes yeux se remplirent doucement d’eau. Des larmes de bonheur ! C’était tellement simple.

Du revers de la main, j’effaçai posément ce débordement lacrymal. Un bien-être calme et intégral m’envahissait. J’avais oublié depuis si longtemps cet état de légèreté. Où étais-je perdu toutes ces années ? Peu importe, l’heure des choix était venue…

***

De l’eau coulait du robinet. En quantité suffisante pour une douche tiède, une pluie bienfaisante et douce.

***

Lavé, séché, rasé, je me sentais d’attaque pour un petit déjeuner. Je flottais un peu dans le survêtement anonyme et propre que l’on m’avait prêté en attendant. Mais cette quarantaine forcée n’entamait pas mon optimisme.

Les médias allaient-ils me retrouver ? Ce n’était peut-être qu’une question de temps. Il faudrait s’en tenir à la version officielle. Je ne tenais pas à passer pour un fou. Me taire restait la seule alternative.

Mais, j’étais sûr que mon histoire incroyable n’était pas terminée. Ce qui m’était arrivé était si… givré ! Je ne pouvais pas me contenter de remercier le ciel et de continuer, comme si de rien n’était.

Jusque-là, SpaceWays et l’armée m’avaient bien protégé, sans soupçonner mon secret. Si l’équipe dépêchée m’avait laissé dormir, la situation devait être au moins en partie maîtrisée, sans caractère d’urgence absolue.

Je gambergeais, assis sur le lit, en me chaussant distraitement. Mes réflexions s’enchaînaient avec logique, s’épuraient, se clarifiaient. Je me redressais lentement, avec la certitude de devoir rester prudent et discret sur ce qui venait de m’arriver. J’avais peur de détruire ce signe du destin en devant le décrire concrètement. Je devais préserver ce fil ténu, offert dans des circonstances irrationnelles, d’une inquisition rationnelle et réductrice. C’était l’une des clés du mystère. Il fallait se remémorer toute l’histoire, la revivre. Elle contenait nécessairement d’autres clés, pour obtenir de l’aide.

Quand avaient commencé les bizarreries ? Le premier évènement marquant qui me venait à l’esprit s’était déroulé trois mois plus tôt, par un après-midi de juin. Mais en y réfléchissant bien, un autre évènement étrange avait eu lieu le matin du même jour. Et encore un autre, la veille au soir. Je me replongeais dans ce passé récent…

***

 

Les commentaires sont fermés.